etit Tom habite une cabane au bord de la rivière. Il y habite depuis longtemps, depuis toujours peut-être.
Petit Tom est sans âge : il ressemble à un enfant et à un vieillard tout à la fois. On dirait que le temps na pas de prise sur lui.
Petit Tom vit de sa pêche. Elle le nourrit dabord, et le surplus, il le vend au marché pour pouvoir se vêtir.
Petit Tom se contente de peu. Sa seule richesse : son rire ; il fuse comme une étoile filante ; il illumine le ciel de ceux qui lentendent.
Petit Tom est un petit homme& heureux.
Aujourdhui, Petit Tom sen va aux champignons.
Il a pris un grand sac pour les recueillir (il est optimiste) et un plus petit (on ne sait jamais). Petit Tom voit toujours les choses en grand.
Pourquoi ne pas voir la bouteille à moitié pleine lorsquon en a vidée lautre moitié ? dit-il souvent.
Mais tout le monde ne comprend pas ce quil veut dire ! Et Petit Tom rit devant lair pantois quont certaines gens.
Petit Tom avance prudemment dans la forêt. Il ne faut pas effrayer les champignons ! Sans quoi ils iraient si bien se cacher quon ne les trouverait jamais !
Au cSur de la forêt, dans une clairière, il y a un étang. Et là, au bord de cet étang, vit Joe le crapaud.
Il nest pas beau, le crapaud, pense Petit Tom.
Que penses-tu si fort ? lui demande le crapaud. Tu penses que je ne suis pas beau ? Mais regarde-toi, Petit Tom !
Comment ça ? demande petit Tom.
Oui, regarde-toi ! Vous les hommes, vous jugez trop vite. Sais-tu que pour nous, les crapauds, ce sont les hommes qui ne sont pas beaux ! Cette protubérance que vous appelez nez, quelle horreur ! Et ces deux machins qui vous servent à entendre, collés comme deux papillons de chaque côté de la tête, quelle horreur ! Et vos bras, comme deux tentacules, qui ne cessent de sagiter, quelle horreur !
Daccord ça suffit. Je crois que jai compris, soupire Petit Tom.
Et il va pour séloigner, quand Joe le crapaud ajoute :
Tu sais au fond, nous les crapauds, on vous aime bien& Même si vous êtes incapables de faire des bonds&
Comment ça, incapables ? tempête Petit Tom.
Parfaitement, incapables de faire des bonds ! insiste le crapaud.
Eh bien nous allons voir ! sexclame Petit Tom. Suis-moi jusquà la rivière. Je te parie que je la franchirai dun bond.
Pari tenu ! répond calmement le crapaud.
Et tous deux sen vont vers la rivière.
Sur le bord de la rivière, Petit Tom se prépare. Il fait quelques mouvements de gymnastique pour assouplir ses muscles ; gonfle le torse pour faire pénétrer plus dair dans ses poumons ; exécute plusieurs pompes pour séchauffer encore ; bref, il fait tant et si bien que Joe le crapaud finit par perdre patience :
Quand tu auras fini de faire ton numéro ! lance-t-il à Petit Tom, peut-être pourras-tu sauter de lautre côté ? A moins que tu naies peur ?!
Nom dune pipe, sétouffe Petit Tom, tu vas voir ce que tu vas voir !
Et il prend son élan pour sauter par-dessus la rivière. Mais alors quil en a franchi la moitié, cest par un grand PLOUF que Petit Tom termine sa course en plein milieu de leau. Et le voilà qui nage tant bien que mal jusquà lautre rive. Et le voilà, sur la terre ferme, qui sébroue comme un chien ayant essuyé une tempête. Et le voilà qui rit de sa mésaventure tout en ôtant ses vêtements pour les faire sécher. Et le voilà qui dit :
A présent, crapaud, cest à toi de sauter par-dessus la rivière !
Alors, lentement, Joe le crapaud sapproche du bord, et sans le moindre élan bondit sur une première pierre, puis de cette pierre sur une autre, et ainsi de suite, jusquà lautre rive.
Voilà, cest fait, se contente de dire Joe le crapaud.
Petit Tom applaudit, reconnaissant quil a sous-estimé son adversaire. Mais au fond de lui, il ne savoue pas vaincu.
Je te lance un autre défi, dit Petit Tom au crapaud. Serais-tu capable daller sur la cime de cet arbre quon voit tout là-bas ?
Pourquoi pas, répond le crapaud.
Et tous deux se dirigent vers un chêne dau moins dix mètres de haut.
A nouveau Petit Tom séchauffe. Il sagite en tous sens. Il fait des sauts, des pompes, des cabrioles& Tant et si bien que Joe le crapaud sénerve :
Allons ça suffit ! Vas-tu grimper à présent ? lance-t-il à Petit Tom.
Jy vais, jy vais, marmonne Petit Tom, commençant péniblement son ascension.
Il saisit une branche, puis une autre, tire sur ses bras, pousse sur ses jambes, et recommence& Il saisit une branche, puis une autre&
« Oh hisse ! Oh hisse ! Que cet arbre est haut ! », pense Petit Tom.
Et de fait, cette cime paraît inaccessible, tout là-haut. Plus Petit Tom monte, plus elle semble séloigner dans le ciel.
« Oh hisse ! Oh hisse ! »
A mi-hauteur, Petit Tom na plus de souffle. Il ne sent plus ses bras, ni ses jambes. A vrai dire, il ne sent plus rien. Il est tout engourdi par leffort. Il regarde alors en bas, et là, il voit le crapaud en grande conversation avec un pigeon.
« Que peuvent-ils se dire ? », se demande Petit Tom. « Je vais redescendre pour savoir. »
Avec une infinie précaution Petit Tom descend du chêne et sapproche des deux comparses pour écouter. Il entend la fin de la conversation.
Joe le crapaud dit au pigeon :
En échange je te donnerai des graines.
On fait comme ça, approuve le pigeon.
Soudain, apercevant Petit Tom, Joe le crapaud lui demande :
Te voilà bien vite descendu ?
Je nai grimpé que la moitié du chêne, avoue humblement Petit Tom.
Je le sais, dit le crapaud. Je tai observé du coin de lSil.
A présent cest à toi, crapaud. Essaie donc de faire mieux, nargue Petit Tom.
Jy suis, jy suis, dit le crapaud.
Aussitôt il saute sur le dos du pigeon qui, dun coup daile, le dépose sur la cime du grand chêne.
Voilà, je suis là-haut, crie le crapaud.
Et Petit Tom de rire de cette bonne ruse. Et de se dire « toi, le crapaud, tu es plus fin que tu en as lair ! »
Mais au fond, au fond Petit Tom ne savoue pas encore vaincu.
Un nouveau défi ? demande le crapaud.
Oui, un nouveau défi, acquiesce Petit Tom. Cette fois-ci je te parie que je descends cette pente là-bas bien plus vite que toi. Nous allons grimper en haut du coteau et nous ferons la course en descendant.
Allons-y, dit le crapaud.
Petit Tom et Joe le crapaud arrivent au sommet du coteau. Là, Petit Tom va pour séchauffer, mais avant même quil nait eu le temps de commencer, le crapaud braille :
Ah ! non ! ça suffit comme ça ! Et de suite il oblige Petit Tom à saligner pour le départ de la course.
Petit Tom démarre en trombe, mais Joe le crapaud ne le suit pas : calmement celui-ci se dirige vers une vieille boîte de conserve, la pousse vers la pente, se blottit dedans, et se met à rouler rouler rouler& aussi vite quun ballon. En moins de temps quil ne faut pour le dire, Joe le crapaud est en bas du coteau.
Essoufflé, exténué, rompu, Petit Tom arrive peu de temps après.
Une fois de plus, tu mas bien eu ! dit-il au crapaud, en haletant. Décidément, tu es le plus fort !
Et Petit Tom se met à rire comme une baleine :
Jétais parti à la recherche de champignons, et je me suis fait battre à plate couture par un crapaud ! Bon sang ! quelle aventure !
Tout crapaud que je suis, je ne suis pas laid, car je fais le beau !
En proclamant cela, Joe le crapaud fait un grand sourire, un grand sourire de crapaud.
Et cest alors que Petit Tom saperçoit& que le crapaud& que le crapaud&