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par l'honorable Docteur Breton :
Balzac et l'introducteur du Swedenborgisme
Un Regulus enfant. A propos d'un témoignage de Gauguin
La Bibliothèque de Marie-Antoinette au petit Trianon
Une
source de Mérimée
A propos des sources de La Vénus
dIlle Mérimée écrit :
« Lidée de ce conte mest venue en lisant une
légende du Moyen Age rapportée par Freher 1
.
Jai pris aussi quelques traits à Lucien qui dans son Philopseudes
nous parle dune statue qui rossait les gens. » 2
Un peu plus tard il précisera en oubliant lhistorien allemand
:
« Jai lu dans Pontanus, excusez-moi décrire
des noms si incivils, lhistoire dun homme qui avait donné
son anneau à une Vénus de marbre ou de bronze, mais il y a si
longtemps de cela que je ne sais plus trop ce que cest que ce Pontanus. »
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Plusieurs érudits ont porté ce nom, entre autres, Jacques Spannmuller,
latiniste allemand, né à Bruck (Bohême) en 1541, mort
à Augsbourg en 1626. Jésuite depuis 1562, il enseigna les langues
anciennes, et surtout le latin. Il composa des manuels célèbres
: Progymnasmata latinitatis (1588-1594), Institutiones poeticae
(1594).
Serait-ce Giovanni Pontano, poète, homme détat et historien
italien (1426-1503) ? Le Nouveau Larousse illustré disait de lui :
« Si lhomme détat est plus que discutable, lécrivain
mérite les plus grandes éloges » ? Il existerait
au moins six auteurs du nom de Pontanus et Pierre-Georges Castex se demande
sil faut « faire crédit en la matière au mystificateur
qui inventa Clara Gazul ? »
A vrai dire nous pencherions pour une plaisanterie de Mérimée
qui serait dailleurs fort bien en situation . Ce serait une allusion
au chapitre 18 de Gargantua quand Janotus de Braquemard fait un discours ridicule
: « Un quidam latinisant qui habitait près de lHôtel-Dieu
déclara un jour, en alléguant lautorité dun
certain Taponus -non, je me trompe : cétait Pontanus, poète
laïc [...] » 4
,
passage où la référence à Pontanus est le modèle
même de la fausse référence.
Cest dans Le Conte fantastique en France de Nodier à Maupassant
que Pierre-Georges Castex étudie cette question des sources et écrit
:
« Mérimée place en épigraphe à La
Vénus dIlle une phrase empruntée au Philopseudes
de Lucien. Dans ce dialogue, en effet, lécrivain grec avait évoqué
le pouvoir mystérieux dune statue qui, la nuit, descendait de
son socle pour assouvir ses passions criminelles. Pour découvrir cependant
la véritable source du conte, il faut remonter, non pas à lAntiquité
mais au Moyen-Age. La statue dont faisait mention Lucien éait celle
dun général corinthien nommé Pelichos ; mais une
chronique latine dHermann Corner, rédigée au XIe siècle,
prête des exploits semblables à une Vénus. »
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Il poursuit :
« En réalité, Mérimée, selon toute
vraisemblance, connut le récit dHermann Corner par lintermédiaire
de Villemain, qui le découvrit dans le Corpus Historiarum publié
par Eckardt à Leipzig en 1723 et qui lanalysa, en citant ses
références latines, dans son Histoire de Grégoire
VII. Louvrage parut en 1873, après la mort de Villemain,
mais il était annoncé dès 1827 et achevé en 1834. »
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Mérimée connaissait Villemain mais la transmission de la légende
repose dans ce cas sur une supposition et non sur un texte imprimé.
Pour Jorge-Luis Borges, lérudition est une forme du fantastique.
Les données suggérées par Mérimée sur ses
sources paraissent relever de cette conception. Les références
fausses à une bibliothèque imaginaire deviennent une partie
de loeuvre.Cette disparition des sources a fort bien agi pour Collin
de Plancy.
Jacques-Albin-Simon Collin, dit Collin de Plancy, est né à Plancy,
comme son nom lindique, près dArcy-sur-Aube, en 1793 et
est décédé à Paris en 1881. La notice du Nouveau
Larousse illustré résume ainsi sa carrière :
« Cet écrivain dune extrême fécondité
se fit libraire, et publia de nombreuses compilations antireligieuses, comme
Le Dictionnaire infernal (1818) ; Le Diable peint par lui-même
(1819) ; Dictionnaire de la folie et de la Raison (1820) ; Dictionnaire
des reliques (1821-1822) ; Biographie pittoresque des jésuites
(1825), etc. Ruiné par la révolution de 1830, il passa en Belgique
et revint à Paris en 1837. Le malheur lavait changé. Devenu
alors un catholique ardent, il fonda limprimerie-librairie dite Société
de Saint-Victor, et publia, à partir de ce moment, sous son nom ou
sous des pseudonymes, un grand nombre de livres religieux : Dictionnaire
historique et critique des athées (1870) Grande vie des saints
(1873-1875) ; etc. ».
Pour le sujet qui nous intéresse ici, larticle « Magiciens »
de son Dictionnaire infernal qui narre lhistoire du magicien
Lexilis est particulièrement intéressant :
« Le magicien Lexilis, qui florissait à Tunis, quelque temps
avant la splendeur de Rome, fut mis en prison, pour avoir introduit, par des
moyens diaboliques, le fils du souverain de Tunis, dans la chambre dune
jeune beauté, que le père se réservait.
Environ dans le même temps, il arriva une étrange aventure au
fils du geôlier : ce jeune homme venait de se marier, et les parents
célébraient les noces hors de la ville. le soir venu, on joua
au ballon. Pour avoir la main plus libre, le marié ôta de son
doigt lanneau nuptial, et le mit au doigt dune statue qui était
proche de là. Après avoir bien joué, il retourne vers
la statue pour reprendre son anneau ; mais la main sétait fermée,
et il lui fut impossible de le retirer. il ne dit rien de ceprodige ; et,
quand tout le monde fut rentré dans la ville, il revint seul devant
la statue, trouva la main ouverte et étendue comme auparavant, mais
sans la bague quil y avait laissée. Ce second miracle le jeta
dans une grande surprise. Il nen alla pas moins rejoindre son épouse.
Dès quil fut au lit avec elle, il voulut sen approcher,
et se sentit empêché paqr quelque chose de solide, qui était
couché entre lui et sa femme, et quil ne voyait point. « Cest
moi que tu dois embrasser, lui dit-on, puisque tu mas épousé
aujourdhui : je suis la statue au doigt de qui tu as mis ton anneau. »
Le jeune époux effrayé nosa répondre, et passa
la nuit sans dormir. Pendant plusieurs jours, toutes les fois quil voulut
embrasser sa femme, il sentit et entendit la même chose. ».
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Sur les conseils du magicien le jeune homme se rend à un carrefour
où, après une troupe variée apparaît « un
certain, puissant de taille, assis sur un char [...] » à
qui il remet sa requête de délivrance. « Lesprit
reconnaissant le cachet, la lut aussitôt et s écria
en rugissant : « Ce Lexilis sera-t-il donc longtemps encore sur
la terre !... » un instant après, il envoya un de ses gens
ôter lanneau du doigt de la statue, et le fils du geôlier
cessa dès lors dêtre troublé dans ses amours ».
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Parmi les sources possibles, nous disons « possibles »
car il faut toujours être prudent en ce domaine, Le Dictionnaire
Infernal offre lavantage de présenter au chercheur une parution
antérieure à la rédaction de La Vénus dIlle
et davoir eu une notoriété et une diffusion qui rendent
inutiles le recours à dobscurs auteurs.
L'honorable
Docteur Breton se fera
un plaisir de vous répondre !
1 -
Marquard Freher, jurisconsulte et historien allemand (1565-1614)
2 - Lettre à E. Johanneau, 11 novembre 1847, Correspondance générale,
tome V, p.200
3 - Lettre du 10 août 1851, Correspondance générale, tome
VI, p.233
4 - Rabelais, Gargantua, chap. 18, éd. Press-Pocket, p.165
5 - Pierre-Georges Castex, Le Conte fantastique en France de Nodier à
Maupassant, p.264
6 - Op. cit. p.265
7 - Collin de Plancy Dictionnaire infernal, pp.270 et 271, éd. Marabout
8 - Op. cit. p. 274