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par l'honorable Docteur Breton :




Balzac et l'introducteur du Swedenborgisme

Une source de M?rim?e

Un Regulus enfant. A propos d'un t?moignage de Gauguin

La Biblioth?que de Marie-Antoinette au petit Trianon

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Un Regulus enfant.
A propos d'un t?moignage de Gauguin


Le nom de R?gulus a fourni ? toutes les litt?ratures une foule dallusions pour d?signer un homme fid?le ? sa parole donn?e, ? ses convictions, au m?pris de la mort. Marcus Attilius Regulus fut consul en 256 av. J.-C. Fait prisonnier par les Carthaginois, renvoy? ? Rome pour traiter de la paix et de l?change des prisonniers, il pr?f?ra exhorter ses concitoyens ? poursuivre la guerre. Puis, fid?le ? la parole donn?e, il revint ? Carthage, s?r que la mort dans les supplices lattendait.
Cette grandeur d?me antique est illustr?e ? l?poque moderne par un ?pisode de la Commune de Paris. Cet exemple est dautant plus ?tonnant quil ?mane dun enfant dont la mort ne peut appara?tre que plus injuste encore.

Victor Hugo en a tir? ce po?me c?l?bre de LAnn?e terrible :
??Sur une barricade, au milieu des pav?s
Souill?s dun sang coupable et dun sang pur lav?s,
Un enfant de douze ans est pris avec des hommes.
-Es-tu de ceux-l?, toi ? -Lenfant dit nous en sommes.
-Cest bon, dit lofficier, on va te fusiller.
Attends ton tour. -Lenfant voit des ?clairs briller,
Et tous ses compagnons tomber sous la muraille.
Il dit ? lofficier : Permettez-vous que jaille
Rapporter cette montre ? ma m?re chez nous ?
-Tu veux tenfuir ? Je vais revenir. -Ces voyous
Ont peur ! o? loges-tu ? -L?, pr?s de la fontaine.
Et je vais revenir, monsieur le capitaine.
-Va-t-en, dr?le ! -Lenfant sen va. -Pi?ge grossier !
Et les soldats riaient avec leur officier,
Et les mourants m?laient ? ce rire leur r?le ;
Mais le rire cessa, car soudain lenfant p?le
Brusquement reparu, fier comme Viala,
Vint sadosser au mur et leur dit : Me voil?.

La mort stupide eut honte et lofficier fit gr?ce.??

On consid?re g?n?ralement, quand on le cite, que le po?me sarr?te sur ces derniers mots. Il est vrai quainsi il formerait un tout se terminant sur un alexandrin-maxime. Cependant il existe une deuxi?me partie dont les d?veloppements philosophico-mythologiques apparaissent un rien trop pesants, sans parler de ces ??buffles haletants?? qui nous rappellent combien le sublime dune ?poque est le ridicule dune autre. Cependant tout ce qui sort de la plume de Hugo est int?ressant :

??Enfant, je ne sais point, dans louragan qui passe
Et confond tout, le bien, le mal, h?ros, bandits,
Ce qui dans ce combat te poussait, mais je dis
Que ton ?me ignorante est une ?me sublime.
Bon et brave, tu fais, dans le fond de lab?me,
Deux pas, lun vers ta m?re et lautre vers la mort ;
Lenfant a la candeur et lhomme a le remord,
Et tu ne r?ponds point de ce quon te fit faire ;
Mais lenfant est superbe et vaillant qui pr?f?re
A la fuite, ? la vie, ? laube, aux jeux permis,
Au printemps, le mur sombre o? sont morts ses amis.
La gloire au front te baise, ? toi si jeune encore !
Doux ami, dans la Gr?ce antique, St?chisore 1
Te?t charg? de d?fendre une porte dArgos ;
Cin?gyre te?t dit : Nous sommes deux ?gaux !
Et tu serais admis au rang des purs ?ph?bes
Par Tyrt?e 2 ? Mess?ne et par Eschyle ? Th?bes.
On graverait ton nomsur des disques dairain ;
Et tu serais de ceux qui, sous le ciel serein,
Sils passent pr?s du puits ombrag? par le saule,
Font que la jeune fille ayant sur son ?paule
Lurne o? sabreuveront les buffles haletants,
Pensive, se retourne et regarde longtemps.?? 3

Cest ce po?me que Mallarm? va lire ? Gauguin qui lignorait. Le petit-fils de Flora Tristan ?crit dans Oviri 4 :
??St?phane Mallarm? alla chercher un superbe volume de Victor Hugo et, avec cette voix de magicien quil maniait si bien, il se mit ? lire cette histoire que je viens de raconter [...]??
Et voici le r?cit ?tonnant du peintre :

??Jallais quelquefois aux mardis de cet admirable homme et po?te qui se nommait St?phane Mallarm?. Un de ces mardis on parla de la Commune, jen parlai aussi.
Revenant de la Bourse quelque temps apr?s les ?v?nements de la Commune, jentrai au caf? Mazarin. A une table se trouvait un monsieur, air militaire, qui me rappelait s?rement un ancien camarade de coll?ge et, comme je le regardais par trop attentivement, il me dit hautainement, tirant sa moustache :
-Est-ce que je vous dois quelque chose ?
-Excusez-moi, lui ai-je dit, nauriez-vous pas ?t? ? Loriol ? Je me nomme Paul Gauguin.
Et lui :
-Je me nomme Denneboude.
La reconnaissance fut faite aussit?t et mutuellement [de] se raconter ce quon ?tait devenu. Lui officier sorti de Saint-Cyr avait ?t? fait prisonnier par les Prussiens et, ? lentr?e des troupes de Versailles ? Paris, il commandait un bataillon. Avec son bataillon, arrivant par les Champs-Elys?es, place de la Concorde, puis remontant jusqu? la gare Saint-Lazare, il rencontra une barricade, fit des prisonniers. Parmi ces prisonniers se trouvait un brave gamin de Paris denviron treize ans, pris le fusil ? la main.
-Pardon, mon capitaine, s?cria le gamin, je voudrais avant de mourir aller dire adieu ? ma pauvre grand-m?re qui habite l?-haut, dans la mansarde que vous voyez l? ; mais soyez tranquille ce ne sera pas long.
-Fous-moi le camp !
Jallais serrer la main de ce brave Denneboude, un camarade denfance : je ne le fis pourtant et il continua.
-Nous remont?mes la rue jusqu? la barri?re Clichy, mais avant darriver, le gamin arrivait essoufl? s?criant : ??Me voil?, mon capitaine.??
Et moi, Gauguin, anxieux de dire :
-Quen as-tu fait ?
-Eh bien ! dit-il, je lai fusill?. Tu comprends mon devoir de soldat ...
De ce moment je crus comprendre ce qu?tait cette fameuse conscience de soldat et, le gar?on passant, sans mot dire, je payai les bocks, me sauvant presto, illico, le coeur en d?sordre.??

Nous avons vu qu? ce moment Mallarm? lui lit le po?me de Hugo et Gauguin de conclure :
??[...]: seulement, ? la fin, Hugo, trop respectueux de lhumanit?, ne fait pas fusiller le jeune h?ros.??
A cet endroit l?diteur fournit une note explicative que je vous communique :

Note 1, p.286 : ??Cet ?pisode a ?t? racont? par Le Figaro du 3 juin 1871 avec la conclusion que lofficier aurait renvoy? ladolescent ? sa famille avec un coup de pied dans le derri?re. Victor Hugo en tira le c?l?bre po?me de son recueil LAnn?e terrible qui se termine par les mots : ??...et lofficier fit gr?ce??. Cependant en 1905, un po?te et militant socialiste, Charles V?recque, composera ? son tour une pi?ce de vers selon laquelle ladolescent aurait ?t? bel et bien fusill?. Qui croire ???

Ce ??Qui croire ??? du Philistin est remarquable ! Quelle hypocrisie que cette objectivit? vertueuse qui veut mettre sur le m?me plan lassassin et lassassin? dont le seul crime ?tait de vouloir rompre ses cha?nes ! De surcro?t quel pi?tre lecteur faut-il ?tre pour ne pas sentir la sinc?rit? des pages de Gauguin.

Ce ??Qui croire ??? ma conduit ? tenter de v?rifier les affirmations de Gauguin.

Lannuaire des officiers de lann?e 1870 donne : ??DENEBOUDE Remy-P. Adolphe, infanterie de ligne, 24?me r?giment ? Cambrai.??. Lorthographe r?elle ne comporte quune seule N. Par ailleurs, dans un autre document militaire, nous apprendrons que le P signifie Pierre.
Or l?tat-civil reconstitu? de Paris fait mention dun Remi Pierre Adolphe, n? le 26 avril 1847, baptis? ? Saint-Louis -en-lIle le 29 avril 1847. Gauguin,lui, est n? en 1848.
Lannuaire de 1879 indique une promotion au grade de capitaine 8 juin 1876.
Lhistorique du 24?me de ligne, journal ??des marches et op?rations du r?giment davril 1816 ? avril 1875?? fournit bien le nom dun sous-lieutenant Deneboude au 2?me bataillon. Il pr?cise :

??Octobre [1870] : Le 24?me faisant partie de larm?e du Rhin fut compris dan sla capitulation de la ville de Metz et le drapeau fut d?chir?. Chaque officier en garda un morceau. le (sans majuscule) r?giment, les officiers s?par?s de leurs soldats, fut emmen? prisonnier en Allemache (sic). Au moment de la reddition de Metz. Le Lieutenant Colonel Dufaure de Bessol parvint ? s?vader. le (sic) colonel et plusieurs officiers sup?rieurs furent intern?s ? Mayence le reste fut dispers?.
Pendant le commencement de la lutte que soutint la france (sic) apr?s la capitulation de Metz, le d?p?t ?tait ? Cambrai.??

Pour la p?riode de la Commune, lhistorique est curieusement discret :

??Les officiers et soldats du 24?me de ligne proprement dit qui avaient ?t? faits prisonniers de guerre ? Metz rentr?rent en France et arriv?rent ? Cambrai dans le courant du mois de mars et le r?giment fut reconstitu? ? 3 bataillons de 8 compagnies le 26 mai 1871.
Le 124?me de ligne ayant ?t? licenci? le 15 mars 1871 ? Chartres, les officiers de ce r?giment furent dirig?s sur le 24?me de ligne et arriv?rent ? Cambrai le 27 du m?me mois.
M. le Colonel dArguesse ?tant rentr? de captivit? le 22 avril, prit ? compter de ce jour le commandement du r?giment jusquau 12 mai, ?poque ? laquelle il fut d?sign? pour aller prendre le commandement du 45?me de ligne ? larm?e de Versailles.
Le commandement du 24?me de ligne fut plac? ? partir de ce moment-l? sous les ordres de M. le lieutenant-colonel Bonnecaze, M. le lieutenant-colonel Isnard ?tant pass? au 2?me r?giment provisoire.??

Cependant un autre document prouve la participation de ce r?giment ? la r?pression de la Commune : le ??Livre dor du 24?me r?giment dInfanterie r?dig? par le commandant Amiot?? en 1892.
Nous y trouvons la liste depuis la cr?ation du r?giment des ??Militaires morts au champ dhonneur ou bless?s ? lennemi?? et nous y trouvons :

P.45 : [capitaine] Duparcq Henri-Alfred : bless? ? Courbevoie le 2 avril 1871.
[capitaine] Galliot Victor. Bless? ? Paris le 14 avril 1871.
P.55 : ??Miot Fran?ois. Bless? ? la barri?re de Vanves le 22 mai 1871.??
Dans les ??citations ? lordre?? nous trouvons :
??Bond?le capitaine.enl?vement de Barricades 18 mai 1871.??

Les ?l?ments fournis par Gauguin dans ce t?moignage et susceptibles d?tre v?rifi?s sont confirm?s par les documents. La question ??Quy croire ??? na-t-elle pas une r?ponse ?vidente ?

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L'honorable Docteur Breton se fera
un plaisir de vous r?pondre !


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1 - Po?te lyrique grec de la premi?re moiti? du Vie si?cle av. J.-C. Son vrai nom ?tait Tysias, St?chisore signifiant ??ma?tre du coeur??.
2 - Po?te grec du VIIe si?cle av. J.-C. Il chanta les id?aux spartiates. Mess?ne ?tait la capitale de la Mess?nie, r?gion du sud-ouest du P?loponn?se conquise par Sparte.

3 - Victor Hugo, Napol?on le Petit. LAnn?e terrible, pp. 209 et 210. Edition utilis?e : Paris, Eug?ne Hugues ?diteur, 1879

4 - Paul Gauguin, Oviri, ?crits dun sauvage, ??Second S?jour en Oc?anie??, pp. 284 ? 286. Edition utilis?e : Gallimard, collection Folio

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