Marcel Aymé (1902-1967)

Le Loup

[…] « Dites donc, Loup, j’avais oublié le Petit Chaperon Rouge. Parlons-en un peu de Petit Chaperon Rouge, voulez-vous ? Le Loup baissa la tête avec humilité. Il ne s’attendait pas à celle-là. On l’entendit renifler derrière la vitre. » […]

L’âne et le cheval

[…] « Delphine et Marinette se couchèrent chacune dans son lit, mais comme il faisait un grand clair de lune qui entrait jusque dans leur chambre, elles ne s'endormirent pas tout de suite.
- Tu ne sais pas ce que je voudrais être ? dit Marinette, qui était un peu plus blonde que sa sœur. Un cheval. Oui, j'aimerais bien être un cheval. J'aurais quatre bons sabots, une crinière, une queue en crin, et je courrais plus fort que personne. Naturellement je serais un cheval blanc.
- Moi, dit Delphine, je n'en demande pas tant. Je me contenterais d'être un âne gris avec une tache blanche sur la tête. J'aurais quatre sabots aussi, j'aurais deux grandes oreilles que je ferais bouger pour m'amuser et surtout j'aurais des yeux doux.
Elles causèrent encore un moment et le sommeil les surprit comme elles exprimaient une dernière fois le désir, Marinette d'être un cheval, Delphine un âne gris avec une tache blanche sur la tête. La lune se coucha environ une heure plus tard. Suivit une nuit noire et épaisse comme jamais pareille. Plusieurs personnes du village dirent qu'elles avaient entendu dans ces ténèbres un bruit de chaînes, en même temps qu'une petite musique de poche et aussi le sifflement de la tempête, quoique le vent ne se fût levé à aucun moment. Le chat de la maison, qui était sans doute averti de bien des choses, passa plusieurs fois sous les fenêtres des petites et les appela du plus fort qu'il put, mais leur sommeil était si profond qu'elles ne l'entendirent pas. Il envoya le chien qui ne réussit pas mieux.
De grand matin, Marinette entrouvrit les yeux et il lui sembla qu'entre ses cils elle apercevait dans le lit de sa sœur deux grandes oreilles poilues qui bougeaient sur l'oreiller. Elle-même se sentait assez mal couchée, comme embarrassée de sa personne, empêtrée dans les draps et les couvertures. Néanmoins, le sommeil l'emporta sur la curiosité, et ses paupières se refermèrent. Delphine, tout ensommeillée elle aussi, jeta sur le lit de sa sœur un coup d'œil rapide. Elle le trouva bien volumineux, étrangement ballonné, et se rendormit néanmoins. Un instant plus tard elles se réveillaient pour de bon et louchaient sur le bas de leurs figures qui leur paraissaient s'être allongées et avoir changé d'aspect. En tournant la tête vers le lit de Marinette, Delphine poussa un cri. Au lieu de la tête blonde qu'elle croyait voir sur l'oreiller, il y avait une tête de cheval. De son côté, Marinette ne fut pas moins surprise d'avoir une face d'âne en vis-à-vis et poussa également un cri. Les deux pauvres soeurs roulant de gros yeux, tendaient le cou hors de leur lit pour se regarder de plus près et avaient peine à comprendre ce qui leur était arrivé. Chacune se demandait où avait bien pu passer sa sœur et pourquoi une bête avait pris place dans son lit. Marinette avait presque envie d'en rire, mais s'étant elle-même examinée, elle vit son poitrail, ses membres poilus munis de sabots et compris que les vœux de la veille s'étaient réalisés. Delphine regardait aussi son poil gris, ses sabots, l'ombre de ses grandes oreilles sur le drap blanc, et la vérité lui apparut. Elle poussa un soupir qui fit un grand bruit en passant sur ses lèvres molles. » […]

Marcel Aymé est né à Joigny dans l’Yonne un 29 mars 1902. Dernier d’une famille de six enfants, Marcel Aymé, perd sa mère à tout juste deux ans. Il est alors confié à sa belle-famille et connaît mal son père. Marcel Aymé passe son enfance à Villers-Robert chez ses grands-parents. Après avoir rencontré d’autres péripéties, il devient pensionnaire au collège de Dole, c’est en 1912 qu’il réussit le concours des Bourses. Malgré tout, Marcel Aymé est un élève assez médiocre qui paradoxalement aime beaucoup lire. En 1918, il passe tout de même son baccalauréat de mathématiques élémentaires qu’il obtient, et reçoit une bourse d'internat qui lui permet d'entrer, dès 1919, au lycée de Besançon. Il souhaite devenir ingénieur. Malheureusement, une grave maladie le contraint à abandonner ses études.

Peu de temps après, en meilleure forme, vers 1922, il est appelé pour faire son service militaire, il part en Allemagne occupée et à la libération il rentre à Paris. Il devient tour à tour  employé de banque, agent d'assurances, journaliste pour une agence de presse, etc. En 1925, il rechute et c’est ainsi qu’il se consacre entièrement à l’écriture et qu’il rédige son premier roman.

En 1927, son projet d’écriture se concrétise, il publie son second roman Aller-Retour chez Gallimard. Chaque année, Marcel Aymé offre une œuvre nouvelle, il s’exerce dans plusieurs genres comme la nouvelle, le roman, l’essai, le conte… Il travaille ensuite parallèlement pour le cinéma et le théâtre. Entre temps, il se marie et devient père d’une petite fille.
Pendant l'Occupation, il continuera son travail pour le cinéma, notamment avec Louis Daquin, deux films sont réalisés et remportent un vif succès : Nous les Gosses et Le Voyageur de la Toussaint (d'après Simenon). Toujours à cette époque, il donne des nouvelles et des romans aux journaux de la « Collaboration ». Marcel Aymé a laissé une œuvre considérable et hétéroclite, pour le théâtre, on lui doit La Tête des Autres qui le premier grand plaidoyer contre la peine de mort, mais aussi bien d’autres pièces comme Lucienne et Le Boucher en 1948 ; Clérambard en 1950 ; Vogue la Galère en 1951 ; Les Sorcières de Salem en 1954 ; Les Oiseaux de lune en 1955 ; La Mouche Bleue en 1957 ; Le Placard en 1963 ; La Nuit de l'Iguane en 1965, etc. Pour ce qui est de ses autres œuvres, on peut également citer (non exhaustivement) : Maison basse (1934) ; Le Moulin de la Sourdine (1936) ; Derrière chez Martin (1936) ; Le Bœuf clandestin (1939) ; La Belle Image (1941) ; Le Passe-muraille (1943) ; La Vouivre (1941) ; Le Chemin des Ecoliers (1946) ; Le Vin de Paris (1947) ; Uranus (1948) ; En arrière (1950) ; et bien entendu Les Contes du chat perché qui regroupent 17 contes , publiés entre 1934 et 1946, Comme la Patte du Chat ; Le Chien ; Les Bœufs ; Le Loup ; Le Canard et la Panthère ; Les Boîtes de Peinture ; La Buse et le Cochon ; etc.

Ses écrits ont été adaptés de nombreuses fois au cinéma, avec par exemple : en 1950, Le Passe-muraille de Jean Boyer avec Bourvil ; en 1956, La Traversée de Paris de Claude Autant-Lara avec Jean Gabin, Bourvil ; en 1959, Le Chemin des Ecoliers de Michel Boisrond avec Françoise Arnoul, Bourvil, Louis de Funès ou encore en 1959, La Jument Verte (roman qui a fait son véritable succès au départ) de Claude Autant-Lara ou en 1969 Clérambard d'Yves Robert avec Philippe Noiret et à nouveau en 1977, Le Passe-muraille de Pierre Tchernia avec Michel Serrault.

Marcel Aymé meurt à Paris le 14 octobre 1967 à l’âge de seulement 65 ans.