Les Souhaits Ridicules

de Charles Perrault



Si vous ?tiez
moins raisonnable,
Je me garderais bien de venir vous conter
La folle et peu galante fable
Que je m'en vais vous d?biter.
Une aune de Boudin en fournit la mati?re.
Une aune de Boudin, ma ch?re !
Quelle piti? ! c'est une horreur
S'?criait une Pr?cieuse,
Qui toujours tendre et s?rieuse
Ne veut ou?r parler que d'affaires de coeur.
Mais vous qui mieux qu'?me qui vive
Savez charmer en racontant,
Et dont l'expression est toujours si na?ve,
Que l'on croit voir ce qu'on entend ;
Qui savez que c'est la mani?re
Dont quelque chose est invent?,
Qui beaucoup plus que la mati?re
De tout R?cit fait la beaut?,
Vous aimerez ma fable et sa moralit? ;
J'en ai, j'ose le dire, une assurance enti?re.

Il ?tait une fois un pauvre B?cheron
Qui las de sa p?nible vie,
Avait, disait-il, grande envie
De s'aller reposer aux bords de l'Ach?ron :
Repr?sentant, dans sa douleur profonde,
Que depuis qu'il ?tait au monde,
Le Ciel cruel n'avait jamais
Voulu remplir un seul de ses souhaits.

Un jour que, dans le Bois, il se mit ? se plaindre,
? lui, la foudre en main, Jupiter s'apparut.
On aurait peine ? bien d?peindre
La peur que le bonhomme en eut.
Je ne veux rien, dit-il, en se jetant par terre,
Point de souhaits, point de Tonnerre,
Seigneur demeurons but ? but.
Cesse d'avoir aucune crainte ;
Je viens, dit Jupiter, touch? de ta complainte,
je faire voir le tort que tu me fais.
Ecoute donc. Je te promets,
Moi qui du monde entier suis le souverain ma?tre,
D'exaucer pleinement les trois premiers souhaits
Que tu voudras former sur quoi que ce puisse ?tre.
Vois ce qui peut te rendre heureux,
Vois ce qui peut te satisfaire ;
Et comme ton bonheur d?pend tout de tes voeux,
Songes-y bien avant que de les faire.

? ces mots Jupiter dans les Cieux remonta,
Et le gai B?cheron, embrassant sa falourde,
Pour retourner chez lui sur son dos la jeta.
Cette charge jamais ne lui parut moins lourde.
Il ne faut pas, disait-il en trottant,
Dans tout ceci, rien faire ? la l?g?re ;
Il faut, le cas est important,
En prendre avis de notre m?nag?re.
?a, dit-il, en entrant sous son toit de foug?re,
Faisons, Fanchon, grand feu, grand ch?re ;
Nous sommes riches ? jamais,
Et nous n'avons qu'? faire des souhaits.
L?-des jus tout au long le fait il lui raconte.
A ce r?cit, l'Epouse vive et prompte
Forma dans son esprit mille vastes projets ;
Mais consid?rant l'importance
De s'y conduire avec prudence :

Blaise, mon cher ami, dit-elle ? son ?poux,
Ne g?tons rien par notre impatience ;
Examinons bien entre nous
Ce qu'il faut faire en pareille occurrence ;
Remettons ? demain notre premier souhait
Et consultons notre chevet.
Je l'entends bien ainsi, dit le bonhomme Blaise ;
Mais va tirer du vin derri?re ces fagots.
? son retour il but, et go?tant ? son aise
Pr?s d'un grand feu la douceur du repos,
Il dit, en s'appuyant sur le dos de sa chaise :
Pendant que nous avons une si bonne braise,
Qu'une aune de Boudin viendrait bien ? propos !
? peine acheva-t-il de prononcer ces mots
Que sa femme aper?ut, grandement ?tonn?e,
Un Boudin fort long, qui partant
D'un des coins de la chemin?e,
S'approchait d'elle en serpentant.
Elle fit un cri dans l'instant ;
Mais jugeant que cette aventure
Avait pour cause le souhait
Que par b?tise toute pure
Son homme imprudent avait fait,
Il n'est point de pouille et d'injure
Que de d?pit et de courroux
Elle ne d?t au pauvre ?poux.
Quand on peut, disait-elle, obtenir un Empire,
De l'or, des perles, des rubis,
Des diamants, de beaux habits,
Est-ce alors du Boudin qu'il faut que l'on d?sire ?
Eh bien, j'ai tort, dit-il, j'ai mal plac? mon choix,
J'ai commis une faute ?norme,
Je ferai mieux une autre fois.
Bon, bon, dit-elle, attendez-moi sous l'orme,
Pour faire un tel souhait, il faut ?tre bien boeuf !
L'?poux plus d'une fois, emport? de col?re,
Pensa faire tout bas le souhait d'?tre veuf,
Et peut-?tre, entre nous, ne pouvait-il mieux faire :
Les hommes, disait-il, pour souffrir sont bien n?s !

Peste soit du Boudin et du Boudin encore ;
Pl?t ? Dieu, maudite P?core,
Qu'il te pend?t au bout du nez !
La pri?re aussit?t du Ciel fut ?cout?e,



Et d?s que le Mari la parole l?cha,
Au nez de l'?pouse irrit?e
L'aune de Boudin s'attacha.
Ce prodige impr?vu grandement le f?cha.
Fanchon ?tait jolie, elle avait bonne gr?ce,
Et pour dire sans fard la v?rit? du fait,
Cet ornement en cette place
Ne faisait pas un bon effet ;
Si ce n'est qu'en pendant sur le bas du visage,
Il l'emp?chait de parler ais?ment,
Pour un ?poux merveilleux avantage,
Et si grand qu'il pensa dans cet heureux moment
Ne souhaiter rien davantage.
Je pourrais bien, disait-il ? part soi,
Apr?s un malheur si funeste,
Avec le souhait qui me reste,
Tout d'un plein saut me faire Roi.
Rien n'?gale, il est vrai, la grandeur souveraine ;
Mais encore faut-il songer
Comment serait faite la Reine,
Et dans quelle douleur ce serait la plonger
De l'aller placer sur un tr?ne
Avec un nez plus long qu'une aune.
Il faut l'?couter sur cela,
Et qu'elle-m?me elle soit la ma?tresse
De devenir une grande Princesse
En conservant l'horrible nez qu'elle a,
Ou de demeurer B?cheronne
Avec un nez comme une autre personne,
Et tel qu'elle l'avait avant ce malheur-l?.

La chose bien examin?e,
Quoiqu'elle s?t d'un sceptre et la force et l'effet,
Et que, quand on est couronn?e,
On a toujours le nez bien fait ;
Comme au d?sir de plaire il n'est rien qui ne c?de,
Elle aima mieux garder son Bavolet
Que d'?tre Reine et d'?tre laide.

Ainsi le B?cheron ne changea point d'?tat,
Ne devint point grand Potentat,
D'?cus ne remplit point sa bourse,
Trop heureux d'employer le souhait qui restait,
Faible bonheur pauvre ressource,
A remettre sa femme en l'?tat qu'elle ?tait.

Bien est donc vrai qu'aux hommes mis?rables,
Aveugles, imprudents, inquiets, variables,
Pas n'appartient de faire des souhaits,
Et que peu d'entre eux sont capables
De bien user des dons que le Ciel leur a faits.




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