Le corbeau
Conte de Noël dit par un écolier à
ses petits frères et sœurs

Samuel Taylor Coleridge
(1772-1834)

***

Il y avait sous un vieux chêne
De porcs une compagnie pleine
Qui grommelait en croquant la glandée :
Bien mûre, elle tombait en quantité.
Puis ils trottèrent au loin, comme le vent forcissait,
En laissant un seul gland - et rien d’autre sous votre guet.
Par la suite il vint un corbeau, qui ne goûtait point ces folies :
Sa maîtresse était, disait-on, la sorcière Mélancolie !
Il était encore plus noir que le plus noir des jais,
Volait bas sous la pluie, ses plumes n’y mouillait.
Il ramassa le gland et l’enfouit à l’instant,
Sur la rive d’un fleuve aussi profond que grand.
Où lors s’en fut le Corbeau ?
Par en bas et par en haut,
Par les monts et les vaux s’en fut le noir Corbeau.
Bien des automn’ et des printemps
Il prit la route aux quatre vents,
Bien des hivers et des étés -
Je n’en sais dire la moitié.
Accompagné d’une Elle, il revint à la fin,
Et le gland avait crû en chêne géantin.
Il se firent un nid sur le rameau dernier,
Eurent des oisillons, furent heureux assez.
Mais bientôt, tout en cuir, il vint un bûcheron ;
Sur ses yeux comme un auvent s’abaissait son front.
Il avait une hache en main : sans dire un mot,
À grand ahan, par force coups, tantôt
Il mit à bas le chêne du pauvre Corbeau.
Ses oisillons, ne pouvant partir, furent tués,
Et leur mère en mourut le cœur brisé.

Le bûcheron sépara les branches du tronc,
Et sur le fleuve on le flotta depuis l’amont.
En planches on le scie, d’écorce on le dépiaute,
Et l’on fait un bon bateau de cet arbre et d’autres.
On lança ce bateau ; mais en vue de la terre,
Une tempête se leva que pas un bateau n’eût souffert.
Il s’échoua sur un rocher, les vagues entrèrent brutales ;
Le corbeau volait tout autour, en croassant dans les rafales.
Il ouït le dernier cri des âmes agonisantes -
Voyez ! dessus le mât de hune roule l’eau démente !
Bien content, le Corbeau s’empressa de filer,
Rencontra la Mort de retour, à cheval sur une nuée,
Et la remercia tant et plus de ce bon procédé :
On lui avait tout pris, IL ÉTAIT DOUX DE S’EN VENGER !


Traduction : Bertrand Bellet, juin 2007

Le Corbeau de Coleridge, G. Bourdon
Illustration : Giliane Bourdon
pour le recueil Vingt Poèmes d'Etrangement,
ed. Skiophoros.
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Ce poème est un extrait du recueil illustré
Vingt Poèmes d'Etrangement
de Coleridge, édité aux éditions Skiophoros

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