«Peur
de quoi ? je ne sais, mais une peur horrible.
Je compris, haletant et frissonnant d’effroi,
Qu’il allait se passer une chose terrible... »
M.
de Maupassant est certainement un des plus francs conteurs de ce pays,
où
l’on fit tant de contes, et de si bons. Sa langue forte, simple,
naturelle, a
un goût de terroir qui nous la fait aimer chèrement. Il possède les
trois
grandes qualités de l’écrivain français, d’abord la clarté, puis encore
la
clarté et enfin
Anatole France
Le Horla : présentation
La peur de la folie hantait Maupassant. En 1884 il fait paraître dans le Figaro un conte intitulé Un Fou ?
Et il met bien un point d’interrogation pour en faire une question.
De cette date à 1886 il devient un habitué des cours publics donnés à l’hôpital de la Salpêtrière par des sommités médicales. Les sujets à la mode sont l’hypnotisme et le magnétisme, domaines qui étudient les zones mystérieuses de l’esprit humain. Maupassant va utiliser les renseignements entendus pour son récit Lettre d’un fou et Le Horla.
Ce titre, Le Horla, est un néologisme inspiré d’un mot normand « horsain », l’étranger, et d’une expression comme « hors la loi ». La première version date de 1886 : dans un asile le Dr Marrande présente à des confrères le cas extraordinaire d’un homme qui est venu demander son internement volontaire.
Un soir, après quelques événements bizarres le patient ne se distingue plus dans le miroir : il n’y a plus qu’une zone d’ombre. Il l’attribue à un être qui possède son esprit. A aucun moment il n’est question de démon, tout est raisonnable et d'autant plus inquiétant. Les coïncidences troublantes peu à peu entament le scepticisme des médecins. Passionné par ce thème il donne une seconde version plus étoffée en 1887. Le jour même où il remettait son texte il déclarait à son valet chambre François Tassart : « Bien des choses qui nous entourent nous échappent ».
J’ai passé toute
la matinée étendu sur l’herbe, devant ma maison, sous l’énorme platane
qui la couvre, l’abrite et l’ombrage tout entière.
J’aime ce pays, et j’aime y vivre parce que j’y ai mes racines, ces
profondes et délicates racines, qui attachent un homme à la terre où
sont nés et morts ses aïeux, qui l’attachent à ce qu’on pense et à ce
qu’on mange, aux usages comme aux nourritures, aux locutions locales,
aux intonations des paysans, aux odeurs du sol, des villages et de
l’air lui-même.
J’aime ma maison
où j’ai grandi. De mes fenêtres, je vois la Seine qui coule, le long de
mon jardin, derrière la route, presque chez moi, la grande et large
Seine qui va de Rouen au Havre, couverte de bateaux qui passent.
À gauche, là-bas, Rouen, la vaste ville aux toits bleus, sous le peuple
pointu des clochers gothiques.
Ils sont innombrables, frêles ou larges, dominés par la flèche de fonte
de la cathédrale, et pleins de cloches qui sonnent dans l’air bleu des
belles matinées, jetant jusqu’à moi leur doux et lointain bourdonnement
de fer, leur chant d’airain que la brise m’apporte, tantôt plus fort et
tantôt plus affaibli, suivant qu’elle s’éveille ou s’assoupit.
Comme il faisait
bon ce matin !
Vers onze heures, un long convoi de navires, traînés par un remorqueur,
gros comme une mouche, et qui râlait de peine en vomissant une fumée
épaisse, défila devant ma grille.
Après deux goélettes anglaises, dont le pavillon rouge ondoyait sur le
ciel, venait un superbe troismâts brésilien, tout blanc, admirablement
propre et luisant. Je le saluai, je ne sais pourquoi, tant ce
navire me fit plaisir à voir.
12 mai. – J’ai
un peu de fièvre depuis quelques jours ; je me sens souffrant, ou
plutôt je me sens triste.
D’où viennent ces influences mystérieuses qui changent en découragement
notre bonheur et notre confiance en détresse ? On dirait que l’air,
l’air invisible est plein d’inconnaissables Puissances, dont nous
subissons les voisinages mystérieux. Je m’éveille plein de gaieté, avec
des envies de chanter dans la gorge.
– Pourquoi ? – Je descends le long de l’eau ; et soudain, après une courte promenade, je rentre désolé, comme si quelque malheur m’attendait chez moi.
– Pourquoi ? –
Est-ce un frisson de froid qui, frôlant ma peau, a ébranlé mes nerfs et
assombri mon âme ? Est-ce la forme des nuages, ou la couleur du jour,
la couleur des choses, si variable, qui, passant par mes yeux, a
troublé ma pensée ?
Sait on?
Tout ce qui nous entoure, tout ce que nous voyons sans le regarder, tout ce que nous frôlons sans le connaître, tout ce que nous touchons sans le palper, tout ce que nous rencontrons sans le distinguer, a sur nous, sur nos organes et, par eux, sur nos idées, sur notre coeur lui-même, des effets rapides, surprenants et inexplicables.
Comme il est profond, ce mystère de l’Invisible !
Nous ne le pouvons sonder
avec nos sens misérables, avec nos yeux qui ne savent apercevoir ni le
trop petit, ni le trop grand, ni le trop près, ni le trop loin, ni les
habitants d’une étoile, ni les habitants d’une goutte d’eau... avec nos
oreilles qui nous trompent, car elles nous transmettent les vibrations
de l’air en notes sonores. Elles sont des fées qui font ce miracle de
changer en bruit ce mouvement et par cette métamorphose donnent
naissance à la musique, qui rend chantante l’agitation muette de la
nature... avec notre odorat, plus faible que celui du chien... avec
notre goût, qui peut à peine discerner l’âge d’un vin !
Ah ! si nous avions d’autres organes qui accompliraient en notre faveur
d’autres miracles, que de choses nous pourrions découvrir encore
autour de nous !
16 mai. – Je
suis malade, décidément !
Je me portais si bien le mois dernier ! J’ai la fièvre, une fièvre atroce, ou plutôt un énervement fiévreux, qui rend mon âme aussi souffrante que mon corps ! J’ai sans cesse cette sensation affreuse d’un danger menaçant, cette appréhension d’un malheur qui vient ou de la mort qui approche, ce pressentiment qui est sans doute l’atteinte d’un mal encore inconnu, germant dans le sang et dans la chair.
18 mai. – Je
viens d’aller consulter un médecin, car je ne pouvais plus dormir.
Il m’a trouvé le pouls rapide, l’oeil dilaté, les nerfs vibrants, mais
sans aucun symptôme alarmant. Je dois me soumettre aux douches et boire
du bromure de potassium.
Le texte :Le Horla de Guy de Maupassant
Le
texte :Eloge funèbre par Emile Zola
Site de l'association des amis de Guy de Maupassant :
Athena les textes mis en ligne par Thierry Selva :Guy de Maupassant
Bibliothèque de Lisieux :Guy de Maupassant
Guy
de Maupassant Lycée de Fécamps :
Contributions
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Le Horla 1886